Une guerre totale

14-07-2007 à 16:58:56
Agent Orange au Viêt Nam : le plus grand oubli à cheval sur deux siècles
par André Bouny
La Guerre du Vietnam (appelée ainsi de façon impropre puisque le Viêt Nam a connu de nombreuses guerres) est, du point de vue armement, la guerre majeure du XXème siècle. Ce conflit entre les Etats-Unis d’Amérique et le Viêt Minh communiste nord-vietnamien, lui-même soutenu par l’Union soviétique, devient une guerre exportée entre les deux superpuissances de la planète : les USA voulant stopper le communisme en Asie tandis que l’URSS l’encourage.

Le Viêt Nam est sacrifié, dans un effroyable carnage humain, en laboratoire de la guerre du futur. Il y est déversé entre 2 à 4 fois le tonnage de bombes de toute la 2ème Guerre Mondiale, soit l’équivalent de 450 bombes atomiques d’Hiroshima. Le territoire vietnamien porte les stigmates de vingt millions de cratères conséquents, les bombes étant tombées dans les cratères des bombes précédentes et ainsi de suite. Bombes de nouvelle génération à explosion, incendiaires, à effet de souffle, à dépression, à fragmentation... Prés d’un demi-million de tonnes d’engins n’ont pas encore explosé. Ces reliquats ont déjà tué entre 100 000 et 200 000 personnes, surtout des enfants puisque plus de la moitié de la population a alors moins de quinze ans. A Cu-Chi - mot qui veut dire "Terre d’acier" en vietnamien - il tombe plus de 10 tonnes de bombes par habitant. L’Amérique s’enlise. Les combattants vietnamiens sont invisibles et insaisissables sous la forêt tropicale. Les archives de l’armée américaine avouent 8 000 000 de "sorties" en hélicoptères gorgés de napalm pour débusquer l’ennemi (qui est chez lui !) dans les villages de paillotes. Sans résultat. L’Amérique est pressée. Sa jeunesse et celle du monde entier se lèvent contre cette guerre.

Aux Américains, on a promis la Lune... au Viêt Nam, ils vont la créer !

Ici trônait la forêt tropicale... ces enfants vivent sur le poison, ils ont perdus leur représentation du monde. Photo Hatfield.
Le 11 mai 1961, John F. Kennedy occupe la Maison Blanche, il décide l’opération Ranch Hand, "ouvrier agricole" c’est ce troisième nom de code militaire de l’épandage de l’Agent Orange au Viêt Nam et sur les parties limitrophes du Laos et du Cambodge qui va baptiser la plus grande guerre chimique de toute l’Histoire de l’humanité. Il est donc décidé de raser la forêt tropicale de la surface de la terre et d’empoisonner les récoltes et la population. Gigantesque génocide, titanesque écocide qui fait disparaître à jamais de nombreuses espèces terrestres et marines. Dix années sont nécessaires pour pulvériser près de 100 000 000 de litres de défoliants. Dix pour cent de l’épandage se fait par engins terrestres et par bateaux dans les deltas et la mangrove du littoral.
Quatre-vingt-dix pour cent de la pulvérisation se fait à l’aide d’avion C 123. Les Vietnamiens n’ont pas d’autre protection que celle qui consiste à imbiber un tissu d’urine et à le poser sur le nez et la bouche. Parmi ces défoliants, il y a l’Agent Bleu contenant du cyanure, l’Agent Vert, l’Agent Blanc, l’Agent Pourpre, l’Agent Rose, puis l’Agent Orange, appelés ainsi à cause des bandes de couleurs sur les fûts contenant le poison. L’Agent Orange représente à lui seul plus de 60% du volume des défoliants pulvérisés sur le Viêt Nam. L’Agent Orange contient la Tétrachlorodibenzo-para-dioxine : Dioxine TCDD, dite 2,3,7,8. à cause de sa composition moléculaire. Elle est un puissant tératogène. La Dioxine TCDD est le plus puissant poison connu - un million de fois plus toxique que le plus puissant poison naturel - et le plus durable. Les dioxines sont constituées de 2 noyaux de benzène, 2 molécules d’oxygène et 2 molécules de chlore, de fluor ou de brome (quatre pour la variété la plus toxique). Si une équivalence n’a pas de valeur scientifique -elle s’appuie sur une donnée pour faire une projection comparative- elle a parfois le mérite de frapper nos esprits pour saisir l’ampleur du désastre. Ainsi, une étude de 2002, de l’Université Columbia de New York, révèle que 80 grammes de dioxine déversée dans le service de distribution d’eau d’une ville élimineraient 8 000 000 de ses habitants. Si cette étude est juste, la quantité (connue) déversée sur le Viêt Nam traduite en dose létale pour un être humain donne le vertige (entre 40 et 60 milliards de doses mortelles pour un être humain).

La Dioxine TCDD se mesure en picogramme, c’est à dire en millionième de millionième de gramme (10 puissance -12 grammes). Cette infinie petitesse lui assure une grande stabilité. Au Viêt Nam, elle est dans le sol, dans les boues, dans les sédiments, dans les eaux (en moindre mesure) et passe ainsi dans la chaîne alimentaire. On la retrouve en grande quantité dans les graisses animales, viandes, lait, œufs, poissons. Les scientifiques ont crée une unité appelée TEQ - équivalent toxique - de façon à fixer une limite de toxicité à la consommation des aliments. En France, la dose admise par kilo de poids corporel par jour pour une personne est de 1 à 4 picogrammes. Aux Etats-Unis, la dose admise est plus drastique, elle est de 0,0064 picogramme, c’est à dire 160 fois moins que la norme française. Au Viêt Nam, cette dose peut atteindre 900 picogrammes par kilo de poids corporel par jour. Autour des points chauds situés au Sud du Viêt Nam, 82% des tissus humains prélevés sont positifs. Des enfants naissent avec deux têtes ou bien sans cerveau, sans yeux, sans bras ni jambes ou alors avec deux visages sur la même tête, quand ce n’est pas avec les organes externalisés. Et lorsque la Dioxine TCDD ne parvient pas à traverser le placenta de la future mère et que l’enfant naît sain, la maman l’empoisonne en l’allaitant car le lait maternel est la seule voie de déstockage de la Dioxine. La souffrance physique et psychologique des victimes et des parents est terrible.

Comment la dioxine pénètre-t-elle dans l’organisme ? Le noyau d’une cellule est protégé par un "périmètre de défense" qui a le rôle d’empêcher les molécules n’ayant pas la structure requise de pénétrer le noyau et donc d’interférer avec son patrimoine génétique. Mais, au sein du cytoplasme cellulaire (c’est à dire l’ensemble des éléments de la cellule à l’exception du noyau) la dioxine se lie à une molécule naturellement présente dans toutes les cellules, le récepteur aryl-hydrocarbone, et va pouvoir pénétrer les défenses du noyau cellulaire en se "faisant passer" pour une hormone. C’est ce complexe dioxine-récepteur qui va brouiller les messages hormonaux de notre système endocrinien (c’est à dire l’ensemble des glandes endocrines, à sécrétion interne, qui rejettent la substance produite, appelée hormone, dans le sang) et va activer certaines régions de l’ADN, zones dites "sensibles aux dioxines" et entraîner ainsi l’effet toxique.

Effets invisibles de civilisation : la population du Viêt Nam est bouddhiste, cette religion exige une parfaite intégrité du corps pour s’occuper du culte des ancêtres. Si ce n’est pas le cas, c’est qu’on paie une faute commise dans une autre vie. Alors l’âme des ancêtres errera éternellement dans les ténèbres de l’au-delà. On comprend pourquoi des familles qui avaient un, deux, trois enfants handicapés lourds en ont conçu un quatrième, un cinquième et un sixième et parfois davantage... avec l’espoir d’avoir un enfant complet, afin que la faute commise dans une autre vie soit effacée, la dette réglée. On estime qu’un grand nombre de naissances ne sont pas répertoriées, les enfants sont "cachés".

Aujourd’hui, au Viêt Nam, la troisième génération est là et les gens sains de corps et d’esprit engendrent encore des nouveau-nés monstrueux avec, parfois, les organes génitaux au milieu du visage. Les victimes passées et présentes se comptent par millions. Et celles à venir ? Même les gens supposés en bonne santé souffrent souvent de dermatoses (chloracné, maladie de la peau caractérisée par des comédons, des kystes et papules ; hyper kératose, hyper pigmentation, hirsutisme) de troubles hépatiques (augmentation des transaminases dans le sang et augmentation du taux de lipides dans le sang) de troubles cardio-vasculaires, d’atteinte de l’appareil urogénital, de troubles neurologiques (perte de la libido, migraines, neuropathies périphériques, atteinte des facultés sensorielles) et de troubles psychiatriques (nervosité, insomnie, dépersonnalisation, dépression, suicide)

Cette Arme de Destruction Massive chimique, indélébile, utilisée par l’armée américaine demande "réparation". Lors de la visite de Bill Clinton au Viêt Nam en 1999, la première du genre depuis 1975, les responsables vietnamiens évoquent l’incommensurable malheur de l’Agent Orange.
Madeleine Albrigth "cimente" la conversation en répondant qu’il faut des preuves scientifiques. C’est une façon de laisser le Viêt Nam seul y faire face. A cette époque, une analyse pour rechercher la dioxine dans le sang coûte entre 3000 et 4000$. Comment le Viêt Nam qui cherche les moyens de son développement peut-il assumer pareil budget ? La Constitution des Etats-Unis d’Amérique ne permet pas de se retourner contre des actes de guerre perpétrés par l’armée américaine, même s’ils ne sont pas "autorisés" par la Convention de Genève. Il reste les fabricants de l’Agent Orange qui, en pleine connaissance de cause - dès 1965 des laboratoires américains ont établi les conséquences de la dioxine sur des rats - et pour leur plus grande fortune, ont fourni l’US Army. Parmi les 37 sociétés qui ont fabriqué le poison, certaines s’appellent Monsanto, Dow Chemical, Uniroyal, Diamond, Thompson, Hercules, entre autres. Comparaîtront-elles devant « leur » justice ?

Le 31 janvier 2004, quatre jours avant que les 10 ans de levée de l’embargo soient échus et interdisent de ce fait tout recours selon la loi étasunienne, l’Association des victimes de l’agent orange/dioxine Vietnam et 5 victimes à titre personnel déposent une plainte au Tribunal de Première Instance de la justice fédérale américaine à New York dont le siège se trouve à Brooklyn-Est. Au mois de septembre 2004, 22 autres victimes viennent s’ajouter à une liste qui risque d’être sans fin... Un procès dont on n’a pas de précédent légal : Le procès de New York. Le 10 mars 2005, les victimes vietnamiennes sont déboutées en Première Instance par le magistrat Jack Weinstein, celui-là même qui défendit et obtint "réparation" pour les Vétérans US victimes de l’Agent Orange ! Ce magistrat - certainement sous la pression du Département de la Justice - déclare que l’Agent Orange a été utilisé pour protéger les soldats américains ! Sans vergogne, il ajoute qu’il ne s’agit pas de poison mais d’herbicides. La question n’est pas de savoir s’il s’agit d’herbicide ou de poison, la vraie question est de savoir si cet herbicide contient du poison ? La communauté scientifique internationale et universelle est unanime, la réponse est "OUI". Les victimes vietnamiennes font Appel. La Cour d’Appel de New York se prononcera sur la recevabilité de la plainte déposée par les victimes vietnamiennes au mois de mars 2006. Mais, déjà, ça sent la Cour suprême, actuellement en manipulation urgente : le pouvoir du Président des Etats-Unis à faire la guerre serait-il compromis ? L’espoir est mince, car si les victimes vietnamiennes gagnent, alors il faut dédommager les victimes du Laos, du Cambodge, des Philippines (stockage), les vétérans d’Australie, de Nouvelle-Zélande et de Corée du Sud, car l’Agent Orange/Dioxine au Viêt Nam a des victimes dans tous ces pays. Alors viendront les victimes de l’Uranium Appauvri des Balkans, d’Afghanistan, d’Irak...

Les enfants du Viêt Nam sont souriants comme tous les enfants du monde mais, quarante ans après le début de l’épandage de l’Agent Orange et malgré les efforts des autorités, ces enfants du Viêt Nam crèvent la gueule ouverte !

André Bouny, père d’enfants vietnamiens, préside le Comité International de Soutien aux victimes vietnamiennes de l’Agent Orange et au procès de New York.

Lien : http://www.monde-solidaire.org/...


"J’étais furieux de n’avoir pas de souliers ; alors j’ai rencontré un homme qui n’avait pas de pieds, et je me suis trouvé content de mon sort. " - Mong-Tseu

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